annexe à l’article l’impasse...
Après plusieurs court-métrages, un renfort sur un téléfilm me faisait intégrer une équipe et un réseau professionnel. Ma grande motivation et mon dévouement me firent m’impliquer dans mon travail avec une réelle conviction et une candeur sur lesquelles je suis un peu circonspect aujourd’hui.
Je mis mes compétences à la fabrication de matériels, de projecteurs, d’aménagements, de tableurs informatiques, ne comptant pas les heures, les jours.. Peu à peu, l’efficacité et la logistique s’amélioraient. L’aspect challenge et quelque peu mercenaire flattait mon engouement et aveuglait ma vigilance. J’ai pu acheter une maison, avoir des revenus très décents au prix d’efforts parfois assez lourds.
Pourtant, les fréquentes faiblesses des négociations financières ou les sous-effectifs chroniques sur les tournages auraient du m’alerter.
Le statut de chef est là pour défendre les intérêts d’une équipe tant au niveau salarial qu’au niveau des effectifs ou des conditions de travail. Il s’agit d’une fonction de délégué qui doit faire part de ses doutes, des négociations, des décisions.
Le conditionnement intellectuel des années 80 a modifié cette perception de la fonction de chef d’équipe, certains ne voyant plus là qu’une perspective de réussite individuelle.
La floraison de reconnaissances associée à une grande personnalisation des fonctions font oublier la légitimité première du réalisateur et l’humilité artisanale qu’il conviendrait à l’équipe de respecter.
Vouloir remplacer le nom de chef d’équipe par un anglicisme « gaffer » ou « key grip » traduit la volonté de se détacher et de se soustraire des responsabilités de délégué d’équipe que le mot « chef » induit ; tout en s’affranchissant de la catégorie sociale des « machinistes » ou « électriciens ».
Sous prétexte d’emplois fournis ou promis, une tutelle professionnelle alimente une redevabilité allant jusqu’à demander des coups de main gratuits (y compris pour des choses personnelles) ou une pleine disponibilité (sous-entendu : « tu es disponible uniquement pour moi ou tu ne fais plus partie de mon équipe »).
Si elle n’est pas clairement identifiée, cette confusion des rapports professionnels (copains-collègues) génère une mise en concurrence sournoise des individus qui pénètre très profondément les esprits au point de censurer toute indépendance critique.
Le cinéma ne déroge pas aux principes de corporatisme, d’open-space, de propriété intellectuelle, de brevet, de contrôle qualité ou autres évaluations qui régissent la plupart des entreprise actuelles [1].
Ces principes ne font que favoriser l’autosurveillance, la concurrence, la reproductibilité, la traçabilité dans l’unique souci de profit financier, de flexibilité [2], de performance et de rendement.
La suspicion, la défiance ou l’envie générés ont tout d’un fonctionnement autoritaire.
Dans mon cadre professionnel, j’essaie d’être en accord avec les points suivants :
– Respecter le rapport de chacun au travail, on doit pouvoir tolérer divers degrés d’implications...
– Déléguer le plus de choses possibles (vérifier listes, compte heures, composition d’équipe) sans pour autant renier ses responsabilités.
– Mettre toujours les membres d’une équipe en copie (visible) dans les échanges avec la production pour tout ce qui concerne l’organisation, les salaires y compris bijout and Cie, ceci afin de s’engager comme représentant, et de redonner une réalité à ce qu’est une équipe pour la production.
– Défendre les conditions collectives avant les conditions personnelles,
– Ne pas occulter les négociations de salaires, avantages divers (prépa, bijout...).
– Éviter de mettre en concurrence les uns contre les autres dans une « dynamique » de performance et de rendement.
– Ne pas rechercher systématiquement des « compromis » et ne pas avoir peur de s’engager dans des oppositions un peu franche avec les employeurs.
– Ne pas laisser flatter sa « responsabilité » en s’impliquant démesurément sur l’aspect financier d’un projet.
– Se préoccuper de transmission, de formation, de pérennité du métier, un technicien qui devient chef (ou ne le fait que de temps en temps) ne doit pas être perçu comme un concurrent, au contraire.
– Si un désaccord s’affiche entre un chef et un membre de l’équipe, éviter les mises à l’amende ou exclusion (qui peut parfois être définitive) sans explication ni souci de la situation matérielle ou financière de l’intéressé.
– Le rapport à la bijout est un des plus gros problèmes, pouvant devenir la principale source de revenu au détriment du travail. Il faut absolument endiguer ce déséquilibre en redonnant la valeur à ceux qui la manipule. Pourquoi pas envisager des scops afin d’éviter un enrichissement sur "la boite à outil".
Vu il n’y a pas longtemps : un chef se mettre en extra et toute son équipe... à la semaine... pour 3 jours de tournage ou d’autres l’an dernier demander une augmentation pour eux et accepter sans rechigner que leurs subordonnés gagnent quasiment du simple au double pour la même durée de travail selon qu’ils fassent du tournage ou du montage, certains chefs devancent même les ambitions de l’api en embauchant leur techniciens "à la carte", le roulement d’équipe sans faire tourner les chefs de postes laissaient présager ce clivage [3]...
etc..etc...
La création artistique, l’innovation technique, l’initiative, l’échange, la transmission et la curiosité en font les frais.
Avant de s’en prendre à l’extérieur, il y a pas mal de choses qui ont dérapé dans les équipes elles-même.
Les employeurs seraient bien candides de ne pas profiter d’un tel délitement...