Alex Broutard, directeur de la Passerelle, la scène nationale de Saint-Brieuc, est aux abois. Lundi une baisse de 30% de la subvention (200 000 euros) allouée à son théâtre devrait être votée par le conseil général des Côtes-d’Armor. « Une telle décision, en cours d’exercice, aura un impact énorme, redoute-t-il. Cela signifie des spectacles annulés et une rentrée retardée. » La soirée « Prisunic » de juin qui associe différentes disciplines pour un tarif de 5 euros sera supprimée. Tout comme le service d’autocars entre Lannion et Saint-Brieuc qui permet aux publics des deux villes de profiter de leurs salles respectives. Finis également les ateliers théâtre et danse en milieu scolaire.
Coupes claires. Les Côtes-d’Armor ne sont pas un cas isolé. Anticipant les effets de la réforme des collectivités territoriales examinée le mois prochain par les députés, et la baisse de leurs recettes depuis la suppression de la taxe professionnelle, de nombreux départements ont déjà annoncé des coupes claires dans leurs dépenses culturelles. En Seine-Saint-Denis, le Salon du livre jeunesse de Montreuil, menacé d’une baisse de 70% de la subvention du département (Libération de mardi), a finalement sauvé l’essentiel de son financement. Mais, sur tout le territoire, le reflux est bel et bien amorcé. Associations, festivals, petites structures, grosses institutions, tout le monde est concerné. Et prend les annonces de plein fouet.
Troisième contributeur de la culture en France, avec 1,3 milliard d’euros, derrière les villes (3,5 milliards) et le ministère de la Culture (2,9 milliards) mais devant les conseils régionaux (1 milliard), les départements sont un maillon essentiel de l’économie de la culture (le seul secteur du spectacle vivant compte 180 000 salariés et 15 000 entreprises).
Le vote de lundi dans les Côtes-d’Armor devrait entériner une baisse de 10% du budget global de la culture dans le département. « Nous sommes étranglés financièrement, soupire le président (PS) du département, Claudy Lebreton. Mais c’est un budget de résistance. Nous ne touchons pas aux subventions allouées aux compagnies ou au festival Art Rock. Et, si certains élus pensent que la culture est la cerise sur le gâteau, ce n’est pas ma conception. »
Dans l’Ille-et-Vilaine, département voisin, les coupes (- 20%) touchent l’ensemble des subventions accordées aux associations, qu’elles soient culturelles, sportives ou éducatives. « Pour faire face à la baisse de nos recettes et à l’augmentation de nos dépenses, nous n’avions pas le choix », insiste Jean-Louis Tourenne, président (également PS) du conseil général.
Pour le festival des Tombées de la nuit de Rennes, le tarif (- 20%) est le même. « On sent les choses venir depuis plusieurs années, constate Claude Guinard, son directeur. L’Etat ne nous donne plus un sou depuis 2009 alors que sa contribution s’est élevée jusqu’à 40 000 euros en 2003. La ville et la région continuent de soutenir fortement les Tombées, mais on peut craindre un effet boule de neige dans les années à venir. »
Si les gros festivals d’été bretons comme les Vieilles Charrues et le Bout du monde, qui ont peu recours à l’argent public, ne devraient pas trop souffrir des baisses de subventions, les plus petites manifestations doivent composer. Le festival des arts de la parole Mythos, qui se déroule actuellement à Rennes, a réduit la toile pour compenser la baisse de 20% : il n’y a plus qu’un chapiteau pour accueillir le public dans les jardins du Thabor. La durée du festival a également été revue à la baisse.
Dans la région Rhône-Alpes, on vit aussi à l’heure des coupes, quelle que soit la couleur politique du département. Au conseil général de Haute-Savoie que préside Christian Monteil (divers droite), les débats ont été animés. Elus et administratifs en charge de la culture ont bataillé pour limiter la casse, explique François Deschamps, le directeur des affaires culturelles du département, par ailleurs président de l’association Culture et départements. « Lors des premiers arbitrages budgétaires de juin dernier, on était partis de - 30% à - 40% des crédits culturels, on a sacrément remonté depuis. » Après une baisse de 5% en 2009, la diminution (hors compétences obligatoires : lecture publique et patrimoine) sera « limitée » à 12% cette année. Face à ces restrictions, « les élus doivent faire des choix stratégiques : diminuer un peu tout le monde, au risque du saupoudrage, ou supprimer un pan entier des activités ». En Haute-Savoie, « on a essayé de privilégier ce qui est structurant : les programmations annuelles plutôt que l’événementiel ».
En Isère, tenu par le PS, la baisse a été de 11% en 2009, et sera de 10% en 2010. Elle a été répercutée davantage sur les gros équipements que sur les structures les plus fragiles. La MC2 de Grenoble, a ainsi « perdu » 110 000 euros. « Certains départements s’interrogent sur l’opportunité de continuer à aider les grosses structures qui bénéficient d’un financement croisé important de l’ensemble des pouvoirs publics. Ils préfèrent se replier sur des structures intermédiaires, pour lesquelles leur soutien est plus vital », analyse le président de Culture et départements.
Protestation. Alors que la baisse est tendancielle dans la plupart des départements, le Rhône (à majorité de centre droit) apparaît comme un contre-exemple. Son budget culture est constant depuis plusieurs années. Au début des années 90, Michel Mercier (président du conseil général) et Michel Noir, alors maire de Lyon, ont ainsi procédé à ce qu’on avait appelé alors « le Yalta des musées de Lyon ». Ils s’étaient réparti la charge des musées. Depuis, le département assure intégralement le fonctionnement de deux musées (le musée gallo-romain de Fourvière et le musée Guimet, qui sera transformé en musée des Confluences) et a créé un troisième musée à Saint-Romain-en-Gal. Le Rhône finance aussi de façon conséquente le festival des Nuits de Fourvière (3,7 millions d’euros).
Président du département et ministre centriste de l’Espace rural et de l’Aménagement du territoire, Michel Mercier a souvent assuré qu’il « ne toucherait pas à la culture, facteur d’intégration sociale ». Derrière le discours officiel se cachent pourtant des velléités de désengagement. Notamment sur la Biennale de la danse, festival phare de l’agglomération lyonnaise, que le département finance à hauteur de 650 000 euros (sur un budget de 7 millions). « Le département imagine se retirer de la biennale en 2012 », assure l’adjoint à la culture et au patrimoine de Lyon, Georges Képénékian.
Relayant les inquiétudes qui remontent tous les jours jusqu’à lui, François Le Pillouër, président du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), qui regroupe la plupart des responsables de théâtres publics, appelle de ses vœux un mouvement de protestation de grande ampleur. La journée d’action prévue le 6 mai devrait faire le plein. D’autant que le secteur culturel pourrait se trouver des alliés. « Nous espérons être rejoints par le mouvement sportif, dont les difficultés sont semblables aux nôtres », explique Le Pillouër, qui prévoit déjà un été de mobilisation, à l’occasion des festivals.