Rencontre avec l’opérateur du film Entre les bras
Article mis en ligne le 11 février 2014
dernière modification le 23 juillet 2016

par admin_elemac
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Rencontre avec Yvan Quéhec, chef opérateur sur le film Entre les bras de Paul Lacoste.
par Lara Blanchet Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne

Pouvez-vous me parler un peu du métier de chef opérateur avant de parler plus concrètement du film  ? Votre vision du métier, votre parcours…
J’émets des réserves sur le terme ou l’intitulé de « chef opérateur ». « Chef » signifie qu’il y a une équipe à gérer, or ce n’est pas toujours le cas.
Aujourd’hui, on colle un peu trop d’étiquettes. Les jeunes qui sortent d’école, qui ont fait 1 ou 2 stages, se disent chef opérateur et cela n‘a pas vraiment de sens. Il y a une grande prétention à se désigner comme telle ou telle personne avec un titre bien spécifique. Il y a aujourd’hui, un manque d’ouverture, de polyvalence comparé aux générations précédentes.
Ce qui est important avant tout dans ce métier c’est le travail, la curiosité de regarder et de toucher les choses, de savoir se débrouiller et aussi se mettre des contraintes. Ce qui a fait ce que je suis aujourd’hui, ce n’est pas forcément mes études dans le cinéma mais tout ce que j’ai fait à côté. Travailler sur des chantiers, bricoler, faire du cheval  ; toutes ces choses m’ont permis de tenir une caméra/appareil photo, d’avoir une certaine posture, un équilibre, un regard.
En documentaire, j’aime savoir qu’on ne pourra pas retourner une scène/un plan. Cela oblige à appréhender pleinement ce que l’on va filmer tout en exprimant ce que l’on a acquis.
En ce qui concerne mon parcours, j’ai fait des choses très différentes. J’ai travaillé sur des grosses productions américaines, j’ai fait des publicités pour la télévision, des films documentaires, des fictions. Toutes ces expériences m’ont construit, m’ont beaucoup appris. Au fur et à mesure, cela entraîne un naturel, une expérience dans les gestes que ce soit envers la lumière ou le cadre.
Sur les anciens films documentaires de Paul (Lacoste), j’étais surtout axé sur la lumière, sur Entre les Bras, j’étais au cadre à me préoccuper sur quoi et comment filmer.

Quelle a été votre relation avec le réalisateur Paul Lacoste ?
Je connais Paul depuis 25 ans maintenant, donc ce n’est plus simplement de la collaboration mais une amitié. J’ai travaillé avec lui sur le film documentaire sur Michel Bras il y a 10 ans et sur la série de 9 documentaires qu’il a fait sur la cuisine. On forme une véritable complémentarité. Il a plus le côté intellectuel, une pensée plus théorique sur la réflexion cinématographique et de mon côté, je suis plus dans la fabrication. Il y a un moment où il faut aboutir et faire des images, c’est à ce moment là que j’interviens. Quelque part, on forme un « couple » du cinéma. On n’est pas toujours d’accord – et c’est d’ailleurs mieux comme ça. On se complète, l’un va servir l’autre et vice versa. Je lui propose parfois des choses sans m’imposer ou ordonner car je suis très respectueux de la hiérarchie et de la place du réalisateur. Il y a des scènes que Paul ne voyait pas dans son film, qui n’étaient pas prévues. Je suis quand même parti les filmer (notamment la scène de la fête, de la pêche aux écrevisses) et Paul en a finalement intégré certaines dans son film.

Est-ce que le fait de connaître les « acteurs  » vous a facilité la tâche pour les filmer  ?
Ce n’est pas facile de filmer / faire un documentaire sur des personnes publiques. Il faut faire attention à ce que l’on filme ou pas, sans se censurer pour autant. Ensuite, cela dépend aussi de la position que l’on prend, de l’empathie, c’est un rapport assez troublant et difficile à expliquer. On entre dans l’intimité des gens tout en gardant une certaine pudeur.
Il ne faut pas être dans le voyeurisme ou dans le retrait derrière la caméra. Il faut se concentrer sur ce que l’on filme, pas sur ce que l’on va extraire. Être vraiment dans le moment présent.
Dans ce film, ils ne sont pas 2 personnages, mais nous sommes plutôt 3 : le père, le fils et nous, l’équipe de tournage. Il faut savoir se faire accepter comme 3ème œil. De part notre présence continue, on prend peu à peu une place de confident (le regard de Michel en cuisine ou Véro, sur son canapé, qui se confie à la caméra). Connaître les personnages que l’on va filmer n’est pas important en soi car le rapport s’installe au fur et à mesure que l’on filme. Il faut donc filmer en permanence, avoir une présence incessante pour se faire accepter et devenir un personnage à part entière. Ce qui est important c’est de savoir pourquoi on est là. Le reste vient avec le temps.


Avoir une équipe réduite, est-ce une contrainte ou au contraire un atout  ? Cela entraine-t-il des conséquences sur la manière de filmer  ?

Nous étions en général 4, François Labaye pour le son, Paul, moi à l’image et Philippe Pangrazzi à la production, la régie, à l’intendance, ce qui est important pour le moral de la troupe. Il y a eu parfois Romain en 2ème caméra. Être peu, comme sur ce film, nous permet d’être plus engagé dans ce que l’on fait, d’avoir plus de responsabilités. Après c’est effectivement très différent des grosses productions américaines avec 250 personnes sur un plateau. En fait, tout dépend de qui est aux commandes. C’est sûr qu’être peu nous permet aussi de revenir aux fondamentaux, d’acquérir de l’intuition dans nos gestes, de s’impliquer.

Point de vue technique, comment avez-vous filmé les scènes d’extérieur, notamment celles de jogging  ? On peut remarquer une certaine stabilité dans ces scènes…

J’ai tourné tout le film avec un appareil réflex Canon 5D, donc c’était déjà plus simple de le manier qu’une grosse caméra. Le travelling sur Séba qui court est filmé depuis l’arrière d’une voiture. Pour les séances de jogging de Michel, je faisais moi aussi mon jogging caméra à la main en stabilisant l’objectif dans la paume de ma main. La stabilité que l’on peut constater, je l’ai acquis en montant à cheval ou en bricolant en haut d’une échelle et non en m’entraînant à courir caméra en main.

Et quelle a été l’importance de ces scènes d’extérieur, de coucher/lever de soleil  ?
Le coucher de soleil mime la fin d’un règne, d’une carrière et le lever de soleil montre l’émergence du plus jeune, son ascension. Entre les deux, il a le défi de rester en haut de l’échelle.

Dans ce film, on ne voit pas seulement de la cuisine mais une manière de la transformer en art. C’était quelque chose de voulu je suppose  ?
Oui évidemment. C’est tout un rapport à la création. La cuisine c’est un art des 5 sens. Et la difficulté, c’est qu’en filmant il n’en reste plus que 2 sur 5. Il faut donc encore une fois savoir se positionner pour ne pas montrer qu’un plan banal d’une assiette mais bien plus. Il faut réussir à lui donner tout son sens. Toute la difficulté est là. Personnellement, je trouvais ça absurde de mettre 150€ dans un repas. Mais, en mangeant chez Michel la première fois, j’en ai pleuré. On découvre les légumes, on a l’impression de n’en n’avoir jamais mangé avant. C’est des goûts d’enfance qui refont surface… Ce film a changé ma vision, ma conception de la cuisine.

J’ai lu dans une interview de Paul Lacoste, le réalisateur, qu’il comparait Sébastien à un chef opérateur. Vous le comprenez  ? Vous voyez l’analogie avec vous  ?
Complètement. Cuisine et cinéma ont une similitude incroyable. Que ce soit dans la structure hiérarchique, dans le rapport à l’autorité, la méthode. Tout fonctionne de la même façon.
Un plat, c’est comme un film  : ça raconte une histoire. Il y a ce mystère de ne pas savoir ce qui va se passer, comment il va être accueilli. Un repas, c’est de l’émotion, des sensations, comme un film de cinéma.

Selon vous, de quoi parle le film  ?
C’est un film sur un père et son fils. La cuisine est à voir en filigrane. On est face à un personnage important, qui a une présence incroyable, qui laisse peu à peu sa place, qui lègue l’œuvre de toute une vie à son fils. C’est un thème très fort, pas facile à retranscrire à l’écran.

Et qu’est-ce que cela vous a apporté de tourner ce film  ?
Je me dis que j’aurais dû m’y mettre il y a 10 ans (au cadre). J’aime beaucoup travailler sur la lumière mais ça me plaît beaucoup de cadrer, de retranscrire et découper une action, une émotion.

Dans la vie je cherche, j’expérimente, j’essaye. Aujourd’hui, je trouve que l’on manque de diversité professionnelle, de touche à tout. Je me sens un peu comme un éternel stagiaire en fait, et j’adore ça.

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