Synopsis : Condamné à six ans de prison, Malik El Djebena ne sait ni lire, ni écrire. A son arrivée en Centrale, seul au monde, il paraît plus jeune, plus fragile que les autres détenus. Il a 19 ans. D’emblée, il est instrumentalisé par un groupe de prisonniers corses qui fait régner la loi dans sa prison. Le jeune homme apprend vite. Au fil des « missions », il s’endurcit…
Critique : On ne le refera pas. Pour son cinquième long métrage, Jacques Audiard s’attache à nouveau à la trajectoire d’un jeune homme dans la société française. Une nouvelle fois également, cette odyssée contemporaine et sanglante est entreprise sous la coupe d’une figure paternelle aux allures d’ogre (Niels Arestrup, égal à lui-même, mais dont la performance est renforcée par un temps de présence à l’écran bien plus important qu’à l’accoutumée).
La sphère économique où elle prend place est cependant distincte. C’est la prison, au premier abord un monde de survêtements sales et de misère sexuelle. Elle est regardée comme l’antichambre du monde des affaires : un univers libéral et hautement concurrentiel, des codes tout aussi nombreux et contraignants, mais des manières peut-être un peu moins florentines. Comme à la Défense ou ailleurs, on peut y faire carrière, à condition d’avoir enfin accès à une éducation et de savoir se constituer son réseau. La réussite sera signe d’approbation, comme ailleurs. Pourquoi se gêner à faire des analogies ? Avant l’implosion des subprimes, les magazines d’économie surnommaient avec admiration Ernest-Antoine Seillière « gentleman killer ».
Des parallèles aussi marqués peuvent évidemment susciter la méfiance, mais les « grands sujets » rehaussent les films de Jacques Audiard, à la différence de ses premières réalisations tape-à-l’œil (« Regarde les hommes tomber », 1994). Jamais cynique, toujours puissant, peu démagogue ni même ouvertement sentencieux, Audiard réussit avec « Un prophète » ce que Mathieu Kassovitz avait complètement raté dans « Assassins(s) » (« Toute société a les crimes qu’elle mérite », pérorait l’affiche du film en 1997).
Le jeune Malik est lui aussi le produit de sa société. En choisissant de s’extirper de la majorité silencieuse, un réflexe de survie mué en instinct de mort, il devient un symptôme, un autre « gentleman killer ». En s’imposant comme un parrain, celui qu’on traitait partout d’arabe souhaite donner un coup de main à ses frères dans les cités, et va même s’occuper de la copine et de l’enfant de son ex camarade de cellule frappé par la maladie. « De battre mon cœur s’est arrêté » (2005) voyait le personnage incarné par Romain Duris se dire qu’il était encore temps pour lui de devenir autre chose que le reflet de son père magouilleur, grâce à sa rencontre avec une pianiste. Pas de piano dans les prisons françaises. Malik, criminel prophétique, s’est révélé en manageur, il a des responsabilités et il n’y pense pas qu’en se rasant. Avec Audiard, c’est déjà demain.