Quand les Blancs arrêteront-ils de faire des films comme Avatar ?JPEG
par Annalee Newitz / traduit par ALF/LPG
Article mis en ligne le 14 janvier 2010
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Les critiques voient dans le film Avatar de James Cameron une épopée extraterrestre, une sorte de version fantastique de Danse avec les loups : l’histoire d’un mec blanc qui s’entiche d’indigènes et finit par devenir leur grand chef. Mais, en fait, Avatar est juste la dernière mouture SF d’un vieux fantasme de culpabilité blanche. Attention ce qui suit va révéler des éléments de l’intrigue...

Qu’Avatar [1] soit un film raciste est sujet à débat. Mais quelle que soit votre opinion sur ce film, il est sûr par contre que comme District 9, sorti plus tôt cette année, ce film est un conte de science-fiction au sujet de la race. Plus précisément, c’est un fantasme sur les races raconté du point de vue de personnes de « race blanche ». Avatar et les films de S.F. comme celui-ci donnent l’occasion de se poser cette question : à quoi pensent les Blancs quand ils pensent à l’identité raciale ?

Avatar revisite avec imagination les lieux du crime du génocide originel sur lequel s’est fondé l’Amérique blanche, dans lequel d’entières civilisations et tribus indigènes furent anéanties par les européens immigrés vers le continent américain. Dans le film, un groupe de soldats et de scientifiques s’installent sur la lune verdoyante de Pandora [2], dont les paysages ressemblent à un croisement entre les forêts du parc national de Redwood (Californie du Nord) et la forêt tropicale du Brésil. Les habitants de la lune, les Na’vi, sont une version féline et bleue de peau des peuples autochtones : ils portent des plumes dans les cheveux, vouent un culte aux dieux de la nature, se peignent le visage pour la guerre, utilisent des arcs et des flèches, et vivent en tribus.

Il est impossible de se méprendre : il s’agit bien de versions extraterrestres des peuples autochtones stéréotypés tels que nous les avons vu dans les films d’ Hollywood depuis des décennies.

Pandora est clairement supposée être la terre riche et belle que l’Amérique aurait encore pu être si les Blancs ne l’avait pas bétonnée de centres commerciaux. Dans Avatar, notre héros blanc, Jake Sully [Sully veut aussi dire souillé en anglais] explique que la Terre est un désert ravagé par la guerre, dépouillé de toute verdure ou de ressources naturelles. Les humains ont commencé à coloniser Pandora afin d’exploiter un minerai appelé unobtainium [3]. qui peut servir comme source mega-énergétique. Quelques-uns de ces humains ne veulent pas bombarder les indigènes et les noyer sous les bombes : ils branchent alors leurs cerveaux aux corps d’avatars Na’vi pour tenter de gagner la confiance des indigènes. Jake, l’un des pilotes d’avatar, découvre à sa grande surprise qu’il aime sa vie de guerrier Na’vi beaucoup plus qu’il n’a jamais aimé sa vie de soldat humain.

Jake est tellement enchanté qu’il renonce à accomplir sa mission, qui consiste à persuader les Na’vi à déménager de leurs arbre-maison, où les êtres humains veulent exploiter l’unobtanium. Au lieu de cela, il s’efforce de devenir un grand guerrier qui chevauche des oiseaux géants et tombe amoureux de la fille du chef. Quand l’inévitable se produit et que les Marines arrivent à brûler les arbres-mères des Na’vi, Jake bascule de leur côté. Avec l’aide de quelques humains renégats, il conserve un lien avec son corps avatar afin de conduire les Na’vi contre les envahisseurs humains. Non seulement il a été assimilé à la culture des autochtones, mais il est devenu leur chef.

C’est un scénario classique, que vous avez vu dans d’autres épopées, pas nécessairement de S.F., de Danse avec les Loups au Dernier Samourai, où un type blanc parvient à se faire accepter dans une société fermée de gens de couleur et finit par devenir son membre le plus impressionnant. Mais c’est aussi, comme je l’ai déjà indiqué, très similaire à certains égards à District 9. Dans ce film, notre (anti) héros Wikus tente de déplacer un bidonville pour extra-terrestres [4] vers une région loin de Johannesburg. Accidentellement aspergé d’un liquide extraterrestre, il commence à se transformer en alien contre sa volonté. Difforme et rejeté de la société humaine, Wikus aide à contrecoeur un des extraterrestres à faire décoller son vaisseau pour aller chercher de l’aide sur sa planète d’origine.

Si l’on envisage Avatar et ses semblables comme des délires sur la race et son rôle social, quels modèles voyons-nous se dessiner ?

Dans Avatar et District 9, les humains sont la cause de l’oppression et du désespoir des extraterrestres. Puis, un homme blanc qui a été l’un des oppresseurs change de bord, et à la dernière minute, s’assimile à la culture étrangère et devient son sauveur. C’est aussi l’histoire de base de Dune, où un membre de la royauté blanche fuit son confortable palais sur la planète Dune pour devenir le chef des Freemen, ces autochtones chevaucheurs de vers (la chevauchée comme rite de passage a un équivalent dans Avatar, où Jake prouve sa virilité en chevauchant un oiseau géant). Le film des années quatre-vingt, Enemy Mine montre une variation intéressante sur cette histoire, où un homme blanc (Dennis Quaid) et l’alien auquel il a dû faire face (Louis Gossett Jr.) échouent sur une planète hostile ensemble. Finalement ils deviennent les meilleurs amis, et lorsque l’alien meurt, l’homme élève son enfant comme le sien. Lorsque des humains arrivent sur la planète pour tenter d’asservir l’enfant alien, il donne sa vie pour le sauver. Sa loyauté envers les extra-terrestres est devenue plus forte que celle envers sa propre espèce.

Ce sont des films sur la culpabilité blanche. Nos principaux personnages blancs se rendent compte qu’ils sont complices d’un système qui détruit les autres, c’est à dire les gens de couleur - leurs cultures, leurs habitats et leurs populations. Les Blancs le comprennent quand ils commencent à assimiler la culture de l’autre et acceptent de voir les choses sous un angle nouveau. Pour purger leur immense sentiment de culpabilité, ils changent de côté, deviennent des « traîtres à la race », et luttent contre leurs anciens camarades.

Mais à ce moment, ils vont bien au-delà de l’assimilation et deviennent carrément les chefs des peuples qu’ils ont autrefois opprimés. C’est l’essence même du fantasme de culpabilité blanche, mis à nu. Ce n’est pas seulement le souhait d’être déchargé de crimes que les Blancs ont commis contre les personnes de couleur, ce n’est pas seulement un désir de rejoindre au combat le camp de la justice morale. C’est un désir de diriger les gens de couleur de l’intérieur plutôt que de l’extérieur (blanc et oppresseur).

On peut le voir comme ça : Avatar est une rêverie sur l’idée de cesser d’être blanc, d’abandonner ce vieux sac de viande humain pour joindre le peuple bleu, mais sans jamais perdre les privilèges des Blancs. Jake ne sait jamais vraiment ce que c’est que d’être un Na’vi parce qu’il a toujours la possibilité de revenir en mode homme.

Fait intéressant, dans District 9, Wikus apprend une leçon très différente. Il devient autre et ne peut pas revenir en arrière. Il n’a pas d’autre choix que de vivre dans les bidonvilles et de manger de la bouffe pour chats. Et devinez quoi ? Il déteste ça. Il aide son copain extraterrestre à s’échapper de la Terre uniquement parce qu’il espère le voir revenir dans quelques années avec un « remède » contre sa transformation. Quand les Blancs rêvent de changer de race, c’est marrant seulement si ils peuvent allègrement ignorer l’expérience fondamentale de l’appartenance à un groupe racial opprimé, et qui est la suivante : tu es opprimé, et personne ne te laissera devenir le chef de quoi que ce soit.

Voila un message que personne ne veut entendre, et surtout pas les personnes de race blanche qui sont les créateurs et les consommateurs de ces histoires. L’écrivain canadienne de science-fiction, Nalo Hopkinson a récemment déclaré au Boston Globe :

« Aux États-Unis, quand vous parlez de race vous êtes perçus comme raciste. Vous devenez le problème parce que vous évoquez le problème. Du coup, les gens hésitent à en parler. [5] »

Elle ajoute que « le mythe principal que vous trouvez de la science-fiction, généralement écrite par les Blancs, est d’aller dans une culture étrangère et de la coloniser ».

Bien sûr, Avatar va un peu au-delà du scénario colonisateur de base. On nous dit sans ambages que c’est mal de coloniser les terres des populations indigènes. Notre héros choisit de se joindre aux Na’vi plutôt que de se plier à la culture raciste de son propre peuple. Mais ce n’en est pas moins une histoire qui revisite les mêmes vieux tropes de la colonisation. Les Blancs réussissent toujours à devenir les chefs des indigènes - juste de manière plus douce que dans un vieux Flash Gordon ou que dans les romans martiens d’Edgar Rice Burroughs.

Quand est-ce que les Blancs cesseront de faire ce genre de films et commenceront à penser les problèmes de race de manière innovante ?

Tout d’abord, il faudra arrêter de penser que les Blancs sont les personnages avec qui il est plus facile de s’identifier dans les récits. Comme le disait un blogueur [6] :

À la fin du film, on se demande si le personnage de Jake Sully était nécessaire. Le film aurait pu tout aussi bien en mettant l’accent sur un vrai Na’vi se mettant en contact avec ces tarés d’humains qui n’ont aucun respect pour l’environnement. Je vois d’ici l’explication : « Eh bien, nous avions besoin de quelqu’un (un avatar) avec qui le public puisse s’identifier. Un mec normal marchera mieux qu’un de ces grands gaillards bleus ». Mais c’est précisément le genre d’idée qui fait que tous les rôles principaux sont des hommes blancs (des écrans vides sur lesquels le public se projette) à moins que vous vous appeliez Will Smith.

Mais plus que cela, les Blancs doivent revoir leurs rêves sur la race.

Les Blancs doivent cesser de refaire l’histoire de la culpabilité blanche, qui est une manière sournoise de transformer chaque histoire sur des gens de couleur en une histoire sur le fait d’être blanc.

En tant que personne de race blanche, je n’ai pas besoin d’en entendre plus sur ma propre expérience raciale. J’aimerais voir des films sur des gens de couleur (euh, des extraterrestres), de leur perspective, sans qu’on y insère un personnage blanc (euh, humain) pour tout m’expliquer. La science-fiction est passionnante car elle promet de montrer le monde et l’univers depuis des persectives radicalement différentes de celles auxquelles nous avons été habitués. Mais jusqu’à ce que les Blancs cessent de faire des films comme Avatar, j’ai bien peur d’être condamnée à voir la même histoire encore et toujours.

Source

Article publié sous creative commons dans sa version originale sur http://io9.com/ sous le titre When will white people stop making movies like avatar. Traduction sous licence identique avec mention de la source.

Notes :

[2NDT : Pour ceux qui ont pas compris la lourde référence voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Pandore

[3NDT : On appelle souvent unobtainium dans les récits de science-fiction des matières aux propriétés terrestres impossibles. En français on dirait quelque chose comme inobtenablium ou impossiblium même si le terme est utilisé en général tel quel

[4NDT : En anglais, extra-terrestre se dit Alien qui veut aussi dire étranger, comme dans l’expression "illegal alien," c’est à dire étranger en situation irrégulière. Le texte joue beaucoup avec cette double signification, comme souvent dans l’analyse anglo-saxonne des cultures de science-fiction et notamment de l’afro-futurisme. En effet, pour les non-amateurs de SF, il est important de noter que ce double sens traverse l’ensemble de cette littérature dans laquelle le "rapport à ce qui est étranger" est toujours présent car c’est le parallélisme avec les sociétés humaines et le terreau de cette littérature.

[6Lire Avatar : “Totally racist, dude.” sur le blog The moving image.


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