Division sociale et technologie...
Article mis en ligne le 10 octobre 2022
dernière modification le 5 juillet 2023

par admin_elemac
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10 ans après une première réflexion, une suite...

Ayant connu le passage méthodologique des tournages en pellicule, sans talkies, ni mail et téléphone portable à l’avènement du numérique, leds et communication immédiate, je me permets de faire un constat.

Voilà quelques tournages où je ressens une demande exclusive quasi permanente pour la mise en scène, les espaces de répétition mécanique, réglages techniques se retrouvent réduits à peau de chagrin, pas forcément officialisés et souvent avec une sollicitation assez pressante. Le ressenti de n’être plus qu’une contrainte peut parfois prendre le pas sur la collaboration attendue.

Quand un projecteur était en tungstène, chaud, puissant, il fallait, pour des réglages, intervenir entre les plans sur le plateau. Les électriciens étaient présents, à l’écoute et à l’initiative des interventions.
Pour les assistants caméras, il fallait d’abord mesurer au décamètre la distance puis pendant les prises, un deuxième assistant pouvait affiner la précision en se plaçant perpendiculairement à l’axe caméra.
Quasiment toutes les corporations étaient présentes ou pas loin.

Avec les progrès technologiques on a peu à peu écarté, tout en la maintenant disponible en permanence par liaison talkies [1](voir l’article à ce sujet), toute une catégorie sociale du plateau.
À présent il est possible de régler presque l’intégralité de la lumière depuis une simple tablette ou un téléphone portable. Ce confortable progrès a tendance à faire oublier, voir peut rendre insupportable, les interventions techniques.
On se contente principalement désormais d’apprécier et de commenter les images instantanées que fournissent les moniteurs [2].
On perd forcément pied avec la réalité que la technique impose et toutes les contraintes, d’accès (distance, échelle, etc) météo (pluie, vent, nuages…), information (l’implication n’est pas la même pour tous).
Même en tant que chef de poste cette « dématérialisation » numérique des relations peut générer des impatiences injustifiées et parfois mal vécues.

La conséquence la plus dommageable est le clivage social qui en découle. Il n’y a désormais plus de « lutte des classes » (au sens noble des dialogues et négociations qu’elle impose), on écarte désormais les classes dont on ne désire plus, ou à minima, la présence sur le plateau.
Comme dans beaucoup d’entreprises où la délocalisation ou sous traitance par catégorie sociale est à l’œuvre depuis plus de 40 ans.

La communication et les normes comportementales se sont également vues "normalisées". On échange désormais par mail, sms, téléphone mais presque plus d’annonces ou débat collectifs, il devient même difficile de savoir si "ça tourne" ou pas, le silence est souvent demandé mais ne sont plus forcément annoncés la fin des répétitions ou prises [3]. Fini la gouaille, les engueulades ou les rigolades, c’est plutôt esprit "open space" et son consciencieux polissage de rigueur. Cette demande tacite de s’exprimer comme les cadres l’entendent et être à l’aise avec l’écrit et tous ces outils numériques entretient la frontière sociale [4]

On est tenté de faire un lien de causalité entre la concomitance de la disparition des ouvriers du plateau [5] et de leur représentation à l’écran. Quand ils apparaissent, c’est souvent empreints de misérabilisme ou autres poncifs (parfois très tendancieux), est-ce la représentation des classes populaires qu’en ont désormais certaines classes sociales ? Les thèmes des films/séries et l’organisation de leurs diffusions ne sont pas forcément étrangers à ce basculement [6].

C’est pourtant ce pluralisme qui faisait la richesse d’un plateau.

La prégnance économique croissante ne favorise pas la cohésion d’une équipe.
Cette prégnance est d’autant plus paradoxale que le mystère autour de l’enveloppe budgétaire s’épaissit de projets en projets, on sait de moins en moins dans quel cadre économique on opère (jamais assez visiblement…).
Certaines étapes techniques sont impliquées dans un projet au dernier moment et on leur demande d’être immédiatement opérationnelles, le risque est de ne pouvoir « resservir » uniquement les compétences déjà acquises, très peu de place à la recherche et au développement en raison du temps alloué. Beaucoup ne font pas toute la « prépa » et ne peuvent intégrer la globalité du projet en quelques minutes ou heures.
On est divisé à présent en deux catégories, les « quand combien ? » et les « quoi comment ? »
Entendre « combien de temps », « je m’impatiente », « qu’est ce qu’on attend ? » ne sont pas forcément les plus constructives questions ou remarques.

Il est urgent de revoir la fracture sociale qu’est en train d’instaurer l’organisation numérique du travail et restaurer une collaboration réellement collective.

La profonde mutation en cours, numérique, leds [7] , diffusion, demanderait des réflexions techniques de fond autant méthodologique qu’esthétique mais aussi sur les conséquences sociales qu’elles induisent.
"À une époque ou seul gagner du temps est le critère, réfléchir n’a qu’un défaut, celui d’en faire perdre…"

Yvan

Un autre article sur le même thème
Et un livre humoristique

Notes :

[1cette normalisation des talkies donne souvent lieu à des situation cocasses ou surréalistes quand, au milieu d’un échange, votre interlocuteur (ou vous même) disparaît, sans prévenir et soudainement, pour rejoindre d’urgence sa « fonction ».

[2ces moniteurs sont parfois en nombre limité et accessibles uniquement à certaines personnes

[3Ces annonces ont pour fonction de savoir quand on pouvait faire du bruit ou pas, outillages, manutention, collaboration orale

[4Cette publicité "TGV pro" est criante dans son discours, de là à remplacer guerre économique par guerre sociale : "La tranquillité des espaces pro 1ère, le silence. Cette mélodie impalpable si rare que le pro vénère. Tel le Graal, il recherche en permanence ce havre de paix où sa concentration s’épanouit et son efficacité augmente. Cette atmosphère de détente absolue, il la trouve à bord de TGV, dans l’espace Pro 1ère. Mais aussi en gare, dans le salon Grand Voyageurs, où il peut profiter du Wifi et de la presse, tranquillement, entre pros...Découvrez tous les services..."

[5Juste pour l’anecdote sur un récent tournage, un machino devait cacher un lampadaire avec un borgnol, il allait mettre l’échelle contre celui-ci et le chef opérateur lui demande de l’enlever, ainsi que le chef machino car une mise en place "va" être lancée.
Et le réalisateur de dire : "non, laissez-le faire, il travaille".
Le machino a du installer l’échelle 2 fois malgré tout, se pliant aux ordres zélés.

[6Cette propagande n’est certes pas nouvelle mais ce qui est nouveau est sa quasi hégémonie thématique dans bien des films/séries et les comics étaient surtout destinés à une population jeune (pour un meilleur endoctrinement)

[7Les leds et le numérique posent de profondes questions méthodologique, esthétiques et environnementales. Voir des projecteurs se renouveler tous les 6 mois et leur dizaine voir vingtaine de kilos de ressources en matière première et transformation rendus aussi rapidement obsolètes rend plus que perplexe sur l’argument énergétique et écologique.

Au début on utilisait des projecteurs ou luminaires tungstènes et fluos sur lesquels on changeait les ampoules ou tubes défaillants, puis avec l’arrivée des lampes dites "basse consommation" (des tubes fluos sous forme d’ampoules) on s’est mis à jeter l’ensemble de l’électronique d’amorçage et alimentation avec l’ampoule.
Et enfin avec la grosse « révolution » des leds, on jette désormais l’ensemble du luminaire ou projecteur aux leds intégrées en cas de défaillance ou proposition de meilleur rendement.
Ces innovations permanentes sont excitantes et flippantes en même temps...
Il va quand même falloir qu’on se calme dans la production de projecteurs si on prétend se soucier un peu de l’environnement. Les hangars de kino, vista, space, cycliodes, hmi,... se remplissent comme jamais.
Une possibilité de réparation, de maintenance (nappe, potar et autre) ou d’upgrade (led,...) sans tout changer et à des prix abordables serait une vraie avancée et devrait être un critère de choix déterminent.

La technologie led sera mature le jour où on aura un projecteur aussi versatile et simple qu’un Par64 (une ampoule dans une boite de conserve, record absolu de simplicité) et capable de faire une aussi belle lumière (j’en mets systématiquement quelques uns dans mes listes). Un 16 lampes reste vraiment bluffant et indétrônable dans l’équilibre de dureté et douceur de plage.
Sans parler de la progression d’allumage sur jeu...

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